Je pince le papier épais. Il résiste. Des plis profonds se forment. La feuille se déforme et prend vie. Le pliage va structurer l'espace du support par le relief et par de nouvelles ombres qui me guident. Un début de graphisme apparaît de manière presque aléatoire.

quelque part, 2019, série de dessins au feutre, à l'eau et au crayon 2B, 12 x 17 cm.

J'observe, je dessine. Je suis à la fois actrice et spectatrice de mon travail qui s'accomplit devant moi. Parfois, je dois retenir mon souffle, ne pas tenter de maîtriser les effets, être à l'écoute de la matière et de mes propres gestes, me laisser guider par le dessin.

Mon regard déambule sur la surface que je caresse de mes mains. J'estompe et je fais apparaître un nuage gris de graphite. Mes sensations visuelles et tactiles sont liées. J'observe la matière et je l'accompagne dans sa transformation. Je dois veiller à garder un équilibre entre chaque élément, préserver des tensions subtiles entre les formes et les matières.

Avec le crayon et le feutre, j'arpente la surface de la toile. La mine de mon crayon accroche les fibres du papier, le gratte pour le faire résonner. J'observe la circulation de l'encre dans l'eau que j'estompe doucement avec le liquide pour faire jaillir la brume du trait.

Comme des cheveux, des lignes tremblées se déposent et prolongent des effets de texture. L'épaisseur d'une ligne se mue en une autre plus ténue, tel un filament à la trajectoire aléatoire sur le point de se briser. Un nuage de graphite comme un souffle d'air apporte une profondeur à l'ensemble. J'accepte d'errer dans ma pratique, d'être immergée dans la lumière blanche du papier, d'écouter.

Mes interventions graphiques se font discrètes pour laisser parler le vide. Les moyens techniques restent simples afin de préserver une esthétique spontanée et de laisser place à une pensée immédiate. Je cherche dans le dessin l'expression d'un murmure, d'une intimité. En rendant par le dessin ces phénomènes infimes, j'aiguise ma conscience du presque rien. Je vais vers cette fragilité, en me maintenant à la limite de l'indicible et du silence.