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Texts

Saisir l'imperceptible, texte de Daniel Leizorovici, galeriste et éditeur d'art en août 2023.

 C'est sur des feuilles de mûrier de 12 gr (papier Bib Tengujo) que s'exerce l'impressionnante force de la presse taille-douce lorsque Yolande Guérout imprime ses gravures. Une immense puissance appliquée sur une surface d'une légèreté extrême. Ne s'agit-il pas là d'une complémentarité des contraires chère aux principes du Yin et du Yang ?

Tenez la gravure en mains. Irrésistiblement, l'envie de la voir flotter, de jouer avec l'air naît. Encore une fois, se questionner, pour savoir comment une chose aussi vaporeuse se comporte. En faire un tapis volant...

Regardez la.. L'air et l'eau frôlant le support intègrent la composition. L'artiste révèle leur présence avec une grâce infinie. Les friselis les plus délicats et les nuances les plus subtiles sourdent. Ne nomme-t-elle pas ses dessins l'air de rien, paysage de traces, à peine sentir ?

Il y a un parfum d'Orient dans les créations de Yolande Guérout. Il imprègne l'air alentour. Inspirons profondément !

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Interview réalisé par Olympe Le Touze et Louis.Jn, vidéastes,  en janvier à l'occasion de Nautil'Art, festival à propulsion poétique du 2 au 17 septembre 2023 Halle aux toiles de Rouen.

- Pouvez-vous nous présenter le lieu, le contexte dans lequel vous fabriquez votre œuvre?

 je travaille à Rouen  et aussi à Paris dans l'atelier de gravure Bo Halbirk à Montreuil. 

- Qu'est-ce qui vous a motivé à intégrer le projet de Nautil'Art?

L''eau comme médium actif, comme élément dynamique de transformation, qui permet de bousculer ce qui l'entoure. Cet élément me fascine et notamment son action sur le papier. 

- Quelle est l'origine de votre création?

C'est un travail qui trouve son origine avec la technique de la gravure et du dessin que j'aime mixer. 

- Est-ce une œuvre dans la continuité de votre travail ou une expérience propre à Nautil'Art?

J'ai commencé il y a quelques années une série intitulée  " l'air de rien" dans lequel le papier gonfle, se déforme par le biais de l'eau et de l'encre qui vont créer du relief et de la boursouflure. L'air avec le pli fait parti du papier. On retrouve ces caractéristiques dans ce travail à vau l'eau mais à plus grande échelle. Je travaille sur une rame de papier qui va s'imprégner d'eau et d'encre. Ce qui se passe à la surface va aussi avoir une action en profondeur, laisser une empreinte sur les supports suivants. On retrouve les composantes de la gravure avec un travail d'impression. Ainsi, quand je change de support, mon papier n'est pas vierge. Je découvre un paysage d'eau et d'encre qui me fait réagir. Je viens ensuite le piquer, le travailler en profondeur avec les outils de la gravure pour le révéler. Avec un grand format, le regard s'élargit. Il oscille du monde du détail, du minuscule à un regard plus englobant. 

- Comment cette série va-t-elle se présenter dans l'exposition ?

Mon travail va être suspendu dans un cadre entre-deux verres afin de laisser respirer le papier. De l'air circule autour. Je considère le papier comme quelque chose de vivant, comme une membrane réactive que l'eau et l'encre ont complètement façonnée.

- Quel est le lien avec le Nautilus ou le fonds marins?

L''eau voyage dans le papier, s'infiltre dans les épaisseurs. Il y a une sorte de géologie dans le papier. Il y a cette idée de strates dans le dessin. Quelque chose qui se forme en profondeur. C'est aussi un voyage dans la sensation, dans les fonds marins du mental. C'est un voyage à l'état liquide qui demande de s'imprégner. 

- Quels sont les matériaux que vous utilisez pour ce projet?

J'utilise du papier chinois. Les fibres très fines se plient, se boursouflent au maximum. L'eau et l'encre vont se repousser et interagir. L'encre va se diluer et proposer de nouveaux parcours. Elle va voyager dans l'eau et se disperser d'une certaine manière. Elle va tracer des parcours particuliers. Eau et encre vont finir par se diluer. Je travaille ainsi le dessin dans l'eau. Je disperse du fusain, matière volatile sur la surface sous forme de poussière ; il voyage dans l'élément aqueux et vient s'agglutiner dans les plis formant des zones plus sombres. Enfin, j'utilise la pointe sèche qui vient piquer le papier, crever la boursouflure pour la révéler.  

-  Quel est votre lien à la Seine?

J'ai toujours vécu à proximité de la Seine. J'entretiens donc un lien particulier avec le fleuve. Une des caractéristiques du fleuve, c'est le fait qui sillonne lentement, qu'il imprègne le paysage. Le fleuve traverse, façonne et structure des espaces. Tout se développe à partir du fleuve. Le paysage raconte ses formes et ses mouvements. C'est un élément incontournable. La Seine est un élément de devenir pour l'homme. L'eau sculpte le paysage comme il sculpte mon papier. Il absorbe, pénètre, façonne des plis, des sillons, une sorte de géologie dans le papier. L'eau et son action nous échappe. Elle est est imprévisible. Elle crée des parcours, des chemins que nous ne maitrisons peu.  A cette vie de l'eau et de l'encre, à son cheminement, il faut être attentif. J'explore cet élément mouvant pour en sentir l'énergie. Ainsi, je me laisse surprendre par ce qui apparait sur la feuille. Je n'en maîtrise pas le flux.

L'expression aller à vau-l'eau signifie est une locution adverbiale qui signifiait au sens propre , suivre le courant et le fil de l'eau. Le fleuve induit un parcours, un courant à suivre, il nous invite à nous laisser porter. L'expression au sens figuré reprend l'idée de fuite et de laisser-aller . Ce qu'on laisse à l'abandon et qui périclite. Je crée une situation de dérive avec l'eau, je l'invite à me faire perdre mes repères et aussi à me surprendre. 

- Quel est votre lien à l'univers marin?

L''eau est à la fois un sujet et un médium pour moi. L'eau est actif dans mon travail. J'ai commencé il y a quelques années, une série de dessins aquarelles intitulées "au bord de...". Je me rends régulièrement au bord de la mer et je m'imprègne du paysage marin. J'emporte mes carnets de croquis et

je crée une peinture saline, de voyages de gouttes de mer et de sable prélevées in situ sur les plages sur lesquelles je suis allée m'immerger.

Le travail a lieu dans l'instant présent. Mon travail est l'expression de mes sensations inspirées de mes voyages en Bretagne. Je ne produis pas une image mais c'est le paysage qui s'incruste en moi par tous mes pores, tous les recoins de ma chair avec ses grains de sable qui viennent doucement me piquer. Le vent et le soleil viennent sécher mes dessins.  Ainsi, l'ensemble des processus naturels vont participer à la création de l'œuvre. La mer est en création constante.

L'artiste est celui qui sait observer et capter ce flux, ce pouvoir créateur de l'élément naturel. Il y a une exaltation du présent qui a lieu quand je travaille in situ. Ce travail me permet de m'interroger sur les frontières entre le dessin et la gravure et ouvre à de nouvelles possibilités plastiques.

- Quelle réaction attendez vous  des spectateurs? 

Je n'ai pas d'attente précise. J'espère seulement faire appréhender l'aspect dynamique de l'eau, sa capacité à transformer ce qui l'entoure et à le modifier. Je propose un monde de boursouflures et de cloques. Il y a une certaine forme de beauté. ce qui parait être au départ comme un défaut peut se révéler autrement.

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Présentation de l'œuvre collaborative à vau-l’eau, œuvre musico plastique avec le compositeur Jean-Christophe Ploquin

Boucle musicale acousmatique (8’48) à partir des œuvres à vau-l'eau de Yolande Guérout

YG : j'ai  fait appel au compositeur Jean-Christophe pour accéder à la dimension sonore du processus créatif et nous permettre de vivre des expériences phénoménologiques et sensibles. 

L'œuvre donne à voir mais aussi à écouter. Dessiner, graver, mouiller le papier avec l'eau et l'encre, caresser la surface pour répartir la poussière de fusain : c'est produire des sons. Le processus de travail peut raconter l'œuvre de manière sonore. On peut restituer les différentes étapes de la création de manière sonore. Être sensible aux sons que l'outil exerce sur le support, écouter le long cheminement de l'eau que le papier absorbe lentement jusqu'au cœur de la rame, son écoulement, son évaporation, ses différentes teintes, ses colorations seiches, sourdes ou qui résonnent.

La composition musicale de Jean Christophe Ploquin (8'48 en boucle) nous permet de révéler comment se fait l'œuvre. Toutes les nuances de ce parcours sont retranscrites dans la musique par la temporalité des objets sonores en lien avec l'eau, l'air et le feu : les processus d'écoulement et de séchage sont ainsi perceptibles auditivement alors qu'ils ne sont pas visibles. Comme les impressions successives contenues dans la rame de papier, la polyphonie musicale contient ses propres strates. 

Jean-Christophe Ploquin vient sculpter ces sons qu'il a préalablement prélevés du processus plastique. En travaillant les sons que produisent les gestes sur le support, il crée un espace de perceptions haptiques et sensorielles. L'exploration sonore nous amène à vivre l'eau de manière très intime. Jean-Christophe Ploquin part de cette manière sonore afin de lui donner du relief et une intensité différente. Il travaille le son en lui appliquant des effets de filtrage, de vitesse, en jouant sur l'amplitude, la fréquence, les superpositions, les décalages pour nous livrer une composition musicale acousmatique donc inouïe au sens étymologique. 

L'espace musical devient un espace psychique dans lequel s'exprime l'œuvre plastique. Il donne à apprécier l'empreinte sonore de la création dans l'infra-mince, une expérience de l'imperceptible. Il est conseiller de prêter l'oreille afin d'accéder à cette dimension

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Au moins, texte de Joël Hubaut, artiste multimédia, peintre performer, juin 2022.

L'essaim dans toute sa programmation. Wouah! Magnifique, tous ces pétales en extension! Yolande Guérout pratique un effeuillage de flagelles séquencés qu'on imagine en flipbook convulsif dans des grésillements spatio-temporels pour l'éblouissement subliminal du quotidien...illumination banalytique quasi automatisée en palpitation hyper sensible par bâtonnets et filaments...C'est démembré. Chaque détail irise son dépouillement capté. Une languette érectile fait charnière en scandant l'excitation des plaquettes. Tout s'engendre par transplants agités tel un diagramme d'infinitude fractalisé dans l'épandage-télex d'une monotypie étalonnée à la roulette, ritualisant ainsi le dupli du pli déployé en pulsation variable. c'est frémissant. L'instagramme inexorable des giclures du temps moléculaire est estampé. Ca s'écoule géométriquement mais y'a plus de matrice, le process maculant  s'est auto-embobiné pour se re-générer. Chaque plan gougé se génétise dans, sa radiation scotopique. c'est comme le schéma-genèse d'une animation reproductrice bavant un inventaire sismographique par écoulement. Le motile vibratile se démultiplie en micro-anthropométries ultimes pour former le souffle de la trace de l'empreinte du tamponnage fantomatique des esprits gravés. Somptueuse immortalité du dérisoire du paradoxe de la permanence mutante instable. Les ricochets se propagent en indicible torsions de dessins d'hypnose. Le picto-maillage est minimal. Il grave la vie par vibrations pulsées comme des morsures jouissives pour un scénario existentiel visionnaire. La gravure du shuintage magique converge en tubules vers l'irrémédiable échelonnage des particules. Les coupons gaufrés décuplent une survivance gestuelle potentiellement irréversible. Energie dense de réduction maximale. L'assemblage neuro-cartographique devient stock-mémoire. Larsen visuel en ligature-souche par stimuli. Décharge d'échantillon. Animalité graphique. c'est sublime. Au moins ! Joël Hubaut